Quels sont les freins psychologiques qui empêchent le plus souvent les personnes d’entamer une reconversion ? En quoi sont-ce parfois des prétextes, et comment les détecter ? Comment lutter efficacement contre la culpabilité que ressentent certains à l’idée de changer de voie ? Enfin, pourquoi les reconvertis se sentent-ils parfois illégitimes dans leur nouveau métier ? Eléments de réponse avec la psychologue Amélia Lobbé et la coach Caroline Carlicchi.

Caroline Carlicchi, coach
Depuis près de trois ans que je rencontre des Nouveaux Audacieux qui ont osé changer de vie, je constate que certains questionnements et certaines angoisses sont partagés par beaucoup d’entre eux. Autre similitude entre de nombreux parcours, le chemin qui mène à la prise de décision est souvent le plus dur psychologiquement. En effet, la pression de l’entourage ou de la société en général, tout comme les contraintes matérielles, jouent un rôle de frein, mais à l’examen, s’agit-il des vraies raisons qui empêchent de se lancer ? « Les freins psychologiques peuvent naître d’un manque de confiance en soi, de la peur du changement, du doute, de la peur du regard des autres, ou de la peur de renoncer au cadre et à la socialisation apportés par le salariat. Il est cependant difficile de parler de prétextes et il convient de prendre ces blocages au sérieux, de chercher ce qu’ils cachent, de travailler sur chacun d’eux. Certaines peurs sont très légitimes, comme celle de la précarité, d’autres correspondent plutôt à des croyances irrationnelles et à des certitudes que l’on peut modifier, notamment en les examinant sous un autre angle » commente Amélia Lobbé, psychologue. Reste que quitter un monde dont on connaît les codes pour plonger dans une autre piscine reste fortement anxiogène. « En effet, le principal frein provient souvent de la difficulté que certains peuvent avoir à accepter l’inconnu, la perte de contrôle. Car même avec le business plan le plus travaillé, la part de l’inconnu quant au succès de la démarche reste élevée. Choisir de donner une nouvelle couleur à sa carrière, c’est faire un pas vers une situation nouvelle dans laquelle la personne tissera de nouvelles relations professionnelles, sera stimulée par des projets différents, et connaitra très souvent des variations importantes de son rythme de travail, de ses revenus… C’est une modification majeure qui peut freiner autant qu’elle stimule » renchérit Caroline Carlicchi, coach. Un frein souvent renforcé par la complexité des démarches nécessaires à la reconversion (formations, impacts administratifs), qui ne sont pas toujours claires et rendent parfois le parcours très complexe si la personne n’est pas accompagnée. « Chacun des freins constitue une résistance qui doit être prise en compte. Ce sont en fait des alertes, des signaux mettant en lumière des points à clarifier. Qu’il s’agisse de la capacité à gérer l’incertitude, la perte de sécurité, de statut ou de revenu, chacun est différent et ne dispose pas des mêmes ressources pour y faire face. Le travail avec un coach permet justement d’explorer ces questions et de prendre sa décision en conscience, en mettant en place les protections nécessaires à son propre équilibre » ajoute Caroline Carlicchi.
Vaincre le sentiment de culpabilité qui va parfois de pair avec une reconversion

Amélia Lobbé, psychologue
Parmi les constantes que je remarque fréquemment chez ceux qui acceptent de me raconter leur parcours, le sentiment de culpabilité est également assez répandu, et, curieusement, il se double parfois d’un sentiment de trahison des parents, même chez des personnes adultes. Ainsi Val, ex-traductrice aujourd’hui artisan-maroquinier, confesse-t-elle ne pas avoir osé, dans un premier temps, parler de sa reconversion à ses parents : « Ils m’avaient payé des études supérieures, alors retourner passer un CAP dans le but d’exercer un travail manuel payé le SMIC, je me demandais comment ils allaient prendre la chose ». Quant à Carine, ex-ingénieur conseil en système d’information devenue chocolatière, elle a commencé par aller voir sa psy pour se sentir capable d’aborder avec son patron son souhait de reconversion. Objectif : se défaire de tout l’aspect émotionnel de sa décision. Olivia, aujourd’hui humoriste après avoir été juriste et responsable marketing, aspirait à autre chose : elle s’est tournée vers l’auto-coaching tout en menant un travail de fond avec une coach et thérapeute, afin d’y voir clair en elle-même et sur ses aspirations. « Quand une personne avec une situation professionnelle (plus ou moins) stable annonce à ses proches son projet de changer de métier, elle craint forcément d’être taxée de girouette, d’insatisfaite, voire de dingue… d’où cette peur de décevoir ses proches et ce sentiment de culpabilité à l’idée de renoncer à un emploi. Il n’est pas toujours facile d’assumer ce choix, qu’il va falloir justifier. C’est à ce moment-là qu’il est nécessaire d’avoir foi en son projet et de renforcer sa confiance en soi. Les choses doivent être très claires dans l’esprit de l’aspirant à la reconversion, qui doit aussi mesurer efficacement sa prise de risque afin de pouvoir argumenter auprès de son entourage. En dialoguer et en expliquant sa démarche, il pourra même susciter l’adhésion de ses proches, ce qui est crucial dans la réussite d’un tel projet ! » poursuit Amélia Lobbé. En effet, l’entourage (familial et/ou professionnel) peut se révéler un autre frein, qu’il ne faut pas sous-estimer. Comme l’explique Caroline Carlicchi, « il est fréquent que des proches bien intentionnés se transforment en véritables boulets pour la personne en reconversion.Sous couvert de vouloir protéger la personne, c’est souvent leurs propres peurs (de l’inconnu, de l’incertitude, de mettre en danger la famille) que le proche va faire passer. Après de discrètes tentatives d’aborder le sujet, la personne en reconversion décide donc parfois avec pertinence de ne plus partager son projet avec ses proches. A l’extrême, il arrive aussi qu’elle culpabilise de vouloir se réaliser professionnellement dans une nouvelle voie, puisque cela créé autant de tracas pour ses proches. Pour prévenir ces situations et garder de bonnes relations, une solution consiste à questionner le proche sur ce qui l’amène à poser la question (que craint-il ? sur quels faits se base-t-il ? …) et d’explorer ses suggestions… sans forcément les suivre ».
Prendre le temps de se réinventer

Caroline Carlicchi, coach
Une fois la reconversion entamée (voire achevée) se pose aussi souvent le problème de la légitimité : la personne a parfois du mal à assumer sa nouvelle identité professionnelle, a l’impression qu’elle n’est pas à sa place, s’étonne même parfois de sa réussite (et s’en alarme). Ainsi Christine, ex-professionnelle du tourisme aujourd’hui sophrologue et hypnothérapeute, s’est-elle presque inquiétée du succès qu’elle rencontrait dans sa nouvelle activité… « En fait cela marchait si bien que je me suis même posé la question : suis-je légitime dans ce métier ? Paradoxalement, j’ai douté… (…) On m’avait dit toute ma vie « toi t’as de la chance », mais si je n’avais que de la chance, quand est-ce que j’avais du talent ? Cette question a trouvé une telle résonance en moi que, depuis, j’en ai fait une conférence autour de la légitimité du chef d’entreprise » raconte-t-elle. Pourquoi ce type de réaction ? « Même si on se sent très à l’aise dans son nouveau métier, se réinventer prend un peu de temps ! Il y a souvent une période d’adaptation, il faut être un peu patient et ne pas oublier de mesurer et de se réjouir des changements positifs que l’on constate au quotidien : avoir un travail plus gratifiant, se sentir utile, créer ou construire quelque chose, avoir plus d’autonomie, gérer son emploi du temps et dégager du temps pour sa famille, etc.. En fonction de ses priorités personnelles, ces changements positifs rendent légitime le choix de s’être reconverti. On peut parfois parler du « complexe de l’imposteur » (ou syndrome de l’imposteur) lorsque la personne souffre d’un manque de confiance en elle, d’une faible estime de soi, et qu’elle considère que tout ce qui lui arrive de positif est dû au hasard, à la chance, et non à son travail acharné et à ses compétences » précise Amélia Lobbé. Au delà de l’identité professionnelle, « c’est souvent le sens que la personne met derrière sa vie professionnelle qui est modifié. Un cadre en entreprise reconnu pour son efficacité dans le domaine financier peut s’être reconverti à la boulangerie bio, afin de contribuer à une meilleure alimentation et un plus grand respect de l’équilibre naturel. Il modifie ainsi sa contribution au monde, le sens de son activité professionnelle » indique Caroline Carlicchi avant de poursuivre : « la reconversion est par ailleurs un processus personnel complexe qui requiert de la personne à la fois de savoir lâcher prise sur ses anciens modes de fonctionnement afin de pouvoir accueillir les expériences inédites et les nouveaux défis. Elle va ainsi faire profondément l’expérience du changement, avec sa dimension émotionnelle mais aussi les doutes ou convictions profondes qui y sont associés ». Alors, comment faire de cette aventure un succès ? « La question préliminaire doit impérativement être posée : pourquoi je veux vraiment faire ça ? Car il ne s’agit pas de vouloir changer de voie pour ne plus avoir à croiser son chef tous les matins par exemple, mais pour aller vers quelque chose qui soit plus en accord avec ses aspirations. Ainsi, les modifications profondes de son environnement de travail, de sa façon d’être, de ses capacités, de ses valeurs professionnelles et de son identité professionnelle seront majoritairement anticipées et préparées » conclut Caroline Carlicchi.
– Texte Corinne Martin-Rozès / Photos © Amélia Lobbé & Caroline Carlicchi –
– Texte et photos ne sont pas libres de droit –
Retrouvez Amélia Lobbé sur son blog Psychozen. Derniers ouvrages parus : L’estime de soi, c’est malin et Vaincre l’anxiété et les crises d’angoisse.
Retrouvez Caroline Carlicchi sur son site CoachingGo et sur son blog. Vous pouvez aussi la suivre sur Twitter et sur Facebook.
Catégories :Paroles de coach
Un excellent article ! Je m’intéresse de près à ce syndrome de l’imposture que vous citez, à ce sentiment d’illégitimité, en particulier chez les femmes, qui sont championnes en la matière 😉 J’espère que des contributions comme les nôtres inciteront les femmes à être en phase avec leurs aspirations et à agir dans ce sens, sans culpabilité, au contraire, parce qu’elle le méritent et parce qu’elles auront de la sorte davantage d’impact positif autour d’elle.
Manon.
Merci pour cet article, qui donne envie de mettre le pied à l’étrier!
Je vous rejoins entièrement sur ce sentiment de culpabilité trop présent, que ce soit à l’égard des proches, de la société en général, de l’image professionnelle qu’on croit devoir renvoyer. Je constate souvent les mêmes inquiétudes que celles décrites dans l’article, chez les enseignants en recherche d’un nouveau souffle. Un changement de représentations internes est bien souvent nécessaire et salutaire pour accéder à ses envies profondes et oser les assumer pour réussir pleinement par la suite.
Merci pour le partage de cet article très intéressant qui fait écho en moi étant actuellement en pleine reconversion professionnelle.