A 43 ans, Sophie Gourion affiche un parcours atypique comme on les aime sur le blog. Après une première carrière dans le marketing et les achats, elle est devenue rédactrice freelance et blogueuse féministe. Repérée par Laurence Rossignol sur internet, elle occupe depuis mars dernier un poste de chargée de mission auprès de la Ministre. Comment passe-t-on du monde de l’entreprise aux ors de la République, et quel rôle crucial peuvent jouer les réseaux sociaux dans une carrière ? Sophie nous dit tout, ou presque…
Intranquille, entière et engagée : ce sont les trois premiers adjectifs qui viennent à l’esprit de Sophie Gourion lorsqu’on lui demande de se décrire. A 43 ans, cette « brune sans filtre, féministe à talons, 1m77 de contradictions » comme elle se présente sur son blog, croque la vie à pleines dents et s’implique à cent cinquante pour cent dans son rôle de chargée de mission communication auprès de Laurence Rossignol, Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes. Sa devise ? « Ne demande jamais ton chemin à celui qui le connaît. Tu risquerais de ne pas t’égarer » : tout un programme.
« Ma scolarité a été une source constante d’angoisse »
Elève brillante dans les matières littéraires (elle confesse des souvenirs émus des moments où les professeurs lisaient ses rédactions en classe) et en langues (elle parle anglais, allemand et espagnol), Sophie se souvient aussi de son incompatibilité chronique avec d’autres disciplines, les maths en particulier. « Jusqu’à ce que je rentre en première littéraire, ma scolarité a été poussive, constituant une constante source d’angoisse. On me reprochait par ailleurs d’être trop timide, trop effacée. Bref, avec le recul, un parcours peu épanouissant qui a longtemps laissé des traces sur ma confiance en moi » se souvient-elle. Après le lycée, elle s’inscrit en LEA mais quitte le cursus en cours d’année, ne souhaitant pas devenir professeure de langues ou interprète. Elle intègre ensuite un BTS Commerce International, qu’elle décroche, avant d’enchaîner sur un DEUG d’Allemand (obtenu par équivalence) puis une licence en Sciences de l’éducation, suivie d’une année d’IUFM. « J’ai alors passé le concours de professeur des écoles mais, là encore, j’ai été rattrapée par ma phobie des maths : mon 15 en français n’a pas compensé mon 4 en maths et je n’ai pas été admissible. Ne pouvant me permettre financièrement de continuer mes études, j’ai immédiatement cherché du travail. Ce n’était pas mon premier contact avec le monde professionnel car j’ai toujours travaillé en parallèle, depuis l’âge de 16 ans : hôtesse, téléopératrice, vendeuse, baby-sitter, secrétaire, opératrice de saisie, et j’en oublie sans doute » poursuit Sophie.
« Je n’ai jamais fait en réalité le job pour lequel j’ai été embauchée»
Grâce à sa bonne étoile (c’est elle qui le dit), Sophie trouve son premier emploi après seulement dix jours de recherche et trois lettres envoyées. « Pour la petite histoire, je n’ai jamais fait en réalité le job pour lequel j’ai été embauchée. J’ai ainsi commencé en tant qu’assistante commerciale pour une société qui fabriquait des objets promotionnels pour la cosmétique. Au début, j’étais chargée du classement et de la frappe puis j’ai rapidement évolué vers la gestion des comptes clients et le suivi des fabrications en Asie. Comme mon patron était invivable et irascible, j’ai cherché ailleurs au bout de neuf mois. Une de mes collègues, qui avait travaillé pour un grand groupe de prêt-à-porter en tant que modéliste, m’a alors conseillé de leur envoyer une lettre de motivation. Quinze jours après, j’étais embauchée en tant qu’assistante export pour une de leurs marques ! » relate-t-elle. Là encore, rebondissement : sa responsable annonce sa grossesse peu de temps après et Sophie prend alors le relais, passant d’assistante export à responsable export en quelques mois : un sacré défi ! Malheureusement, en raison de résultats peu florissants, l’ambiance de travail se dégrade rapidement et beaucoup sont poussés au départ. Pour éviter d’avoir à subir cela, Sophie envoie quelques candidatures spontanées dont une chez le leader français des cosmétiques. « Là encore, j’ai été reçue très rapidement et embauchée dans la foulée en tant que…secrétaire dactylo (alors que je n’ai jamais appris la dactylo). Je leur ai précisé dès le départ que je souhaitais évoluer. Et ça a été le cas. Après un premier poste d’assistante où j’ai géré les agendas et les commandes de café, j’ai été promue coordinatrice marketing agents » ajoute Sophie. Elle orchestre alors les lancements et actions promotionnelles de tous les pays dans lesquels la marque pour laquelle elle travaille n’a pas encore de filiale. « A ce moment là, je suis repérée par le Directeur marketing qui décide de me faire évoluer. Je deviens alors acheteuse PLV pour toutes nos filiales, en charge de budgets de plusieurs millions d’euros. Un travail très technique, auquel je ne connaissais rien au départ, et pour lequel j’ai tout appris sur le terrain. Moi qui n’avais au départ aucune qualité de négociatrice, j’ai beaucoup appris ! » Sophie passe cinq ans à ce poste avant de devenir chef de projet internet/intranet. « Cette fois, c’est mon intérêt pour les nouvelles technologies, et le blog que je tenais à cette époque (une sorte de journal intime, de 2002 à 2003), qui ont joué en ma faveur. En tout, j’ai passé plus d’une décennie dans ce grand groupe, onze années passionnantes, enrichissantes mais aussi très prenantes » ajoute-t-elle.
« Ecrire des articles pour un site qui rémunère ses pigistes au nombre de clics suscités : la meilleure école qui soit ! »
Le déclic est venu à l’approche de la quarantaine. Sophie a 38 ans quand son corps lui dit « stop ». Le burn-out qui la terrasse alors remet totalement en perspective sa vie professionnelle. « J’ai réfléchi à ce que j’avais envie de faire, à ce qui me faisait rêver depuis toute petite, et l’écriture m’est tout de suite venue à l’esprit. J’ai eu aussi l’envie d’être utile, mon dernier poste m’ayant fait perdre toute notion d’utilité. Pour résumer, j’étais en quête de sens » explique-t-elle. Sophie prend une année de congé parental et commence à écrire des articles pour un site qui rémunérait ses pigistes au nombre de clics sur les pubs Google. « Cela m’a énormément appris et ce fut la meilleure des écoles qui soit, à mon sens : comment intéresser le lecteur, trouver des sujets accrocheurs, une titraille qui donne envie aux internautes de cliquer ? J’étais ultra motivée, car cela conditionnait ce que je gagnais ! J’ai ainsi écrit une soixantaine d’articles qui ont très bien marché, puis j’ai gagné le premier prix d’un concours d’écriture, avec un chèque de 500€ à la clé, suivi du premier prix d’écriture organisé par le site Terrafemina. Autre satisfaction : avoir été choisie par la Fondation Bouygues Télécom parmi les lauréats « Nouveaux Talents, » ce qui m’a permis d’assister à de formidables cours d »écriture dispensés par l’écrivain Bruno Tessarech » précise Sophie.
« La course aux clics des sites d’infos a fini par me lasser »
Pour évaluer sa capacité d’écriture sur le long terme, la jeune femme décide à cette époque d’ouvrir un blog sur un sujet qui lui tient à cœur : le féminisme. ‘’Tout à l’ego’’ était né, et rencontre rapidement son public. Forte de ce succès, Sophie décide d’essayer de vivre de sa plume, en tant qu’auto-entrepreneuse. « Comme je n’avais aucune légitimité, aucun réseau et pas grand-chose à montrer, j’ai parallèlement décidé de me lancer sur Twitter, en orientant la ligne éditoriale de mon compte autour des sujets qui m’intéressaient le plus et que je trouvais peu traités à l’époque : le féminisme, le droit des femmes, le ‘’gender marketing’’. Une fois mon réseau virtuel constitué, j’ai contacté des rédactions au culot pour proposer des papiers qui ont été pour la plupart acceptés » relate-t-elle. Sophie réalise alors des piges pour Slate puis Rue89, l’Express Styles, Auféminin.com, les Nouvelles News, et même un article pour Le Monde ! En parallèle, elle produit du rédactionnel plus institutionnel pour des marques et sites internet. Malheureusement, il est difficile de vivre d’une telle activité : ses revenus sont en dents de scie, et l’énergie nécessaire au démarchage permanent finit par lui faire défaut. « Enfin, la course aux clics des sites d’infos me fatiguait : on me demandait toujours plus de polémiques, des articles en dix jours sur des sujets qui auraient nécessité beaucoup plus de recul. Et tout ça payé des clopinettes. J’avais envie d’autre chose mais ne savais vraiment pas quoi. Retourner au salariat me paraissait infaisable. J’avais bien tenté ma chance en tant que rédactrice pour une marque de décoration, mais j’avais tenu une semaine avant de donner ma démission » poursuit-elle.
« Je rêve de pouvoir continuer à donner du sens à mon travail »
Et puis un jour, début 2016, c’est la (bonne) surprise : remarquée grâce à son blog et à son activité militante sur Twitter, Sophie est contactée par Laurence Rossignol, Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes. Cette dernière cherche à étoffer son équipe de communication et le profil de Sophie, avec son parcours atypique et sa plume acérée, l’a séduite. « Au démarrage, j’ai eu une forte montée d’adrénaline… Moi, travailler aux côtés d’une Ministre ? Mais je me suis très vite sentie à ma place, et aujourd’hui, je vais chaque jour au travail le cœur léger car je me sens investie d’une mission : travailler pour la France et faire avancer le droit des femmes. Je sais que cela peut paraitre lyrique mais c’est la vérité ! J’ai la chance d’avoir été recrutée par une Ministre qui a eu l’ouverture d’esprit de me faire confiance, alors que je venais de la vie civile et que je n’ai pas Bac +10. Mon engagement et mon militantisme ont fait la différence, sans oublier mon activité sur les réseaux sociaux et sur le blog, d’où l’importance d’être visible » indique Sophie. A date, elle ne se projette pas dans dix ou vingt ans, ni même l’année prochaine : « Je n’ai jamais fait de plan de carrière ou exercé deux fois le même métier, alors… Je rêve juste de pouvoir continuer à donner du sens à mon travail, non seulement parce que c’est ça qui me fait lever le matin, mais aussi parce que c’est ainsi que je donne le meilleur de moi-même. Je porte un regard bienveillant sur mon parcours, même s’il peut paraitre décousu pour certains : à mes yeux, il est juste atypique ! » ajoute Sophie.
« Conseil n°1 : bien choisir la personne qui partage votre vie »
Au moment d’aborder la question des conseils, Sophie Gourion est formelle : le premier qu’elle a envie de donner est de bien choisir la personne qui partage votre vie. « Cela peut sembler un trait d’humour mais pour moi cela a été extrêmement important. J’ai toujours été soutenue par mon mari, quels qu’aient été mes choix : non seulement il ne m’a jamais jugée mais il m’a toujours supportée, au propre comme au figuré ! Et il a toujours été là quand j’étais moins disponible pour prendre le relais auprès de nos deux enfants, utiliser ses journées enfants malades ou télétravailler » indique-t-elle. Autres conseils : assurer ses arrières, c’est-à-dire toujours avoir en tête un plan B, ne jamais complètement se déconnecter du monde du travail, être en veille permanente, et si possible ne pas lâcher la proie pour l’ombre en testant son projet tout en étant salarié. Etre actif sur les réseaux sociaux, quelle que soit son activité, « se penser comme un produit ». Enfin, au moment de faire des choix de vie, ne pas suivre l’avis des proches bien intentionnés mais frileux, qui conseillent souvent la prudence (généralement parce qu’eux-mêmes n’ont jamais sauté le pas !), et toujours préférer l’avis de professionnels du secteur visé. En résumé, s’écouter tout en s’entourant !
- Texte Corinne Martin-Rozès/Photos © Sophie Gourion - - Texte et photos ne sont pas libres de droit –
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Sur son blog http://www.toutalego.com/
Son Tumblr « Les mots tuent », consacré au traitement de la violence faite aux femmes par les médias
Et enfin sur son site « pro » http://www.sophiegourion.fr/
Catégories :Parcours atypique
Big Up Sophie ! Exemple très inspirant, merci 🙂