Fille et petite-fille d’éleveurs, Cassandre a grandi dans la campagne normande, au contact de la nature. Après une première vie professionnelle en tant que professeur des écoles, elle a quitté l’Education Nationale il y a trois ans pour devenir artisan-fromagère. Un virage qu’elle ne regrette pas d’avoir pris et qui lui permet aujourd’hui de pratiquer un métier pleinement en phase avec ses aspirations.
Aucun doute quand on la rencontre : Cassandre Michel sait ce qu’elle veut, et surtout ce qu’elle ne veut pas. C’est sur le marché de Bernay dans l’Eure que j’ai fait sa connaissance, il y a environ deux ans. A l’époque, sa reconversion était toute fraîche et elle a préféré attendre pour me la raconter. Je m’étais donc contentée de lui acheter de la tomme, qui s’est révélée être un délice ! J’ai donc été ravie lorsqu’elle s’est manifestée ce printemps pour me dire qu’elle était prête à témoigner. Dès le début de l’interview, le ton était donné lorsqu’elle m’a dit « je ne suis pas du genre à regarder dans le rétroviseur ». J’avais affaire à une fonceuse, et tant mieux ! Spontanée, authentique, sans filtre : Cassandre est tout ça, avec cet enthousiasme qui caractérise les vrais passionnés. Rigoureuse, tenace, elle s’investit à fond et ne lâche rien tant qu’elle n’a pas ce qu’elle désire : c’est ainsi qu’à 38 ans, après avoir été institutrice pendant près d’une décennie, elle s’est installée en tant qu’artisan-fromagère dans le village de son enfance.
« Cette vie n’était pas pour moi, je suis de nature trop indépendante »
Cassandre est née à Cambremer, au cœur du pays d’Auge. Ses grands-parents des deux côtés étaient éleveurs laitiers, sa mère quant à elle élevait des moutons. « J’adorais être dehors et m’occuper des bêtes. A l’école, j’étais une élève plutôt scolaire qui faisait ce qu’on lui demandait pour être tranquille et pouvoir vaquer dès que possible à mes autres occupations… Très sportive dans mes jeunes années, je pratiquais le tennis et j’avais dans l’idée de devenir prof de sport » se souvient-elle. En parallèle du lycée, elle passe le BAFA et commence à s’occuper d’enfants pendant les grandes vacances : centre aérés, colonies, la jeune fille aime travailler avec les plus jeunes et décide alors de devenir professeur des écoles. « Cependant, je continuais à me réserver des moments en pleine nature, notamment la cueillette des abricots, les vendanges ou les chantiers jeunes européens ». Après un bac S, elle fait en sorte d’obtenir un diplôme en fac qui lui permette de tenter le concours de l’IUFM. Sa licence en maths informatiques en poche, elle entre en 2002 à l’IUFM de Caen, très motivée. Une fois diplômée, elle exerce pendant une dizaine d’années dans des écoles de l’Orne, où elle s’est fixée avec son mari. « Il y a eu des hauts et des bas ! Des classes formidables, d’autres plus difficiles. Mais cette vie n’était plus pour moi : je suis assez indépendante, et quand on est instit, il y a beaucoup de collectif. Il faut aussi tout le temps avoir la pêche pour réussir à entraîner le groupe avec soi, et parfois ça me pesait énormément. Enfin, même si en général les enseignants apprécient les longues périodes de vacances qui vont de pair avec ce métier, moi je ne m’y faisais pas : ces ruptures de rythme, peu adaptées au rythme des saisons, n’étaient pas dans ma nature. J’ai donc commencé à imaginer autre chose, même si dans un premier temps c’était juste informel » raconte-t-elle.
« La hernie discale a été un signal que j’ai pris comme tel »
A un moment de sa vie professionnelle, le mari de Cassandre devient salarié agricole pour s’occuper d’un troupeau laitier : la famille emménage alors dans une ferme du Perche, et la jeune femme, malgré ses réticences initiales, finit par apprécier cette nouvelle vie. Elle se rend souvent chez des amis qui, à proximité, fabriquent des produits à partir de laits de chèvre, de brebis et de vache. A l’époque, l’école dans laquelle elle travaille se situe à 60 km de son domicile et Cassandre a opté pour un mi-temps, ce qui lui permet d’aller donner des coups de main à ses amis. Elle commence par les remplacer durant leurs vacances, puis ils lui proposent un mi-temps durant le congé maternité de leur employée. Cassandre a de plus en plus la tête au laboratoire. Elle sent qu’elle s’est éloignée de son métier d’instit, au point de s’interroger sur son avenir. Son corps lui envoie aussi un message fort, puisqu’une hernie discale se déclare et commence à la faire souffrir. « J’en avais littéralement plein le dos, je crois, et ça s’est manifesté ainsi ! C’était un signal et je l’ai pris comme tel » relate-t-elle.
« Un ami de mes parents, lui-même artisan-fromager, me propose d’utiliser son laboratoire pour me lancer »
Tout s’enchaîne alors : le conjoint de Cassandre est aussi à un tournant professionnel et
la famille est amenée à quitter la ferme où elle vivait. Parallèlement, à Cambremer, les parents de la jeune femme prennent leur retraite et cherchent à louer leur maison devenue trop grande : le couple et leurs deux enfants s’y installent donc à l’été 2015. Cerise sur le gâteau, «un ami de mes parents, Jacques Lebailly, lui-même artisan-fromager au Carrefour Saint Jean, à 5 kms de là, m’avait quelque temps avant proposé d’utiliser son laboratoire pour me lancer. J’ai saisi l’opportunité ! Aujourd’hui, je fabrique toujours mes tommes chez lui, même si je dispose désormais de ma propre cave pour affiner mes fromages » indique-t-elle. Cassandre rencontre alors l’éleveur Baptiste Mercher, avec qui travaille Jacques, et décide de se fournir aussi chez lui. « Il est basé tout près de Cambremer, à Beaufour-Druval, avec son troupeau de vaches normandes qu’il élève en bio et en système tout herbe (pâturage et foin séché en grange). Il a repris l’exploitation familiale, on a le même âge et surtout, on est sur la même longueur d’ondes : le terroir, il n’y a que ça de vrai ! Je voulais du lait de vaches normandes, nourries sans ensilage d’herbe ou de maïs dans les rations. Je travaille en lait cru, donc c’est particulièrement important. Et chez Baptiste, le lait est de très bonne qualité, avec la flore spécifique aux vaches normandes nourries de la bonne herbe grasse du Pays D’Auge ».
« J’aime le fait de fabriquer le produit de A à Z et de le vendre en direct au client, de recueillir ses impressions »
En septembre 2015, Cassandre lance sa première fabrication. « Jacques m’a appris à m’organiser et m’a aidée à me lancer, je lui en suis très reconnaissante. Cependant, je suis arrivée avec ma propre recette, que je peaufine année après année. Faire du fromage, c’est comme faire un gâteau : choix des ingrédients, des proportions, des paliers de températures… et bien sûr la touche personnelle, comme tout artisan. »
Le premier samedi de novembre 2015, c’est le baptême du feu sur le marché de Bernay. Cassandre ne veut pas d’une clientèle de passage, c’est pourquoi elle n’a pas choisi les marchés de la Côte Fleurie, pourtant si touristique. Elle veut tisser des liens avec ses clients, semaine après semaine : à Bernay le samedi donc, et chaque lundi à Saint-Pierre sur Dives. Sans oublier le marché à l’ancienne de Cambremer, qui a lieu douze fois par an le dimanche matin à la belle saison, et sur lequel sa mère vendait de la teurgoule. « J’aime la vente directe, le fait de fabriquer le produit de A à Z et de le transmettre au client, de recueillir ses impressions, d’échanger avec lui. Au-delà des marchés, j’ai maintenant aussi une clientèle de restaurateurs et d’épiciers, et même des associations dont une AMAP. Ceci dit, ma production est très limitée et ça me va comme ça : je transforme une journée par semaine, soit environ 600 litres de lait qui donnent une petite vingtaine de tommes. Et je privilégie toujours ma clientèle de particuliers, celle des marchés » ajoute Cassandre.
« J’ai pu bénéficier du statut d’entrepreneur salarié pendant trois ans pour m’aider à démarrer »
Pour se lancer dans sa reconversion, la jeune entrepreneuse reconnaît qu’elle a eu de la chance, ou plus exactement qu’elle a su saisir sa chance. « Mes parents, qui voyaient bien que je n’étais pas heureuse dans mon ancien métier, m’ont soutenue. Mon mari, qui lui-même a exercé plusieurs professions, était derrière moi aussi, nous sommes convenus que c’était à mon tour de changer de vie ! Il y a eu Jacques aussi, comme je l’ai expliqué plus haut. Mais je dois aussi souligner le rôle de CréaCoop14, une coopérative d’emploi de créateurs d’entreprises. Grâce à cette dernière, j’ai pu bénéficier du statut d’entrepreneur salarié pendant trois ans pour m’aider à démarrer. Cette période s’achève, et je vais opter pour une micro-entrepris. Ils m’ont beaucoup aidée, notamment à bâtir mon projet et à apprivoiser la comptabilité. Et surtout, ces structures offrent un espace de dialogue unique où on peut venir échanger sur son projet, partager ses doutes, poser des questions à des professionnels : c’est précieux quand on se lance tout seul dans son coin » précise-t-elle.
« Mon objectif n’est pas de gagner beaucoup d’argent, mais d’avoir une activité qui soit en phase avec la vie que j’ai envie de mener »
Aujourd’hui, Cassandre se dit heureuse et sereine, enfin à sa place. Pour l’instant, elle ne se projette pas à long terme et ne formule pas de projets. « J’ai trouvé un certain équilibre et une satisfaction dans mon travail. Je savoure, pour l’instant je laisse venir, je profite de ma nouvelle vie. J’ai encore quelques petits aménagements à faire dans ma cave, mais ça prend une belle tournure. Dans l’avenir, je sais que Jacques va partir en retraite mais je n’y pense pas encore trop. J’aime bien l’idée de partager le travail, alors qui sait, si je construis un jour mon propre labo, comme je ne l’utiliserai qu’un jour par semaine, j’aviserai ! Je verrai, au fil du temps et des opportunités » confie-t-elle avant de poursuivre « aujourd’hui, je me dégage un SMIC et c’est déjà bien. Mon objectif n’est pas de
gagner beaucoup d’argent, mais d’avoir une activité qui soit en phase avec la vie que j’ai envie de mener. Mon métier d’artisan-fromagère me prend 35 à 40 heures par semaine, week-ends compris. Le reste du temps, je peux me consacrer à d’autres choses : hier par exemple, j’ai aidé un ami à nettoyer ses ruches, et surtout je garde mes mercredis pour mes enfants. Seul bémol, familial celui-ci, je ne peux pas prendre de longues vacances. Seulement dix jours l’hiver dernier, et l’été prochain mon mari et mes enfants partiront sans moi, car cela correspond à ma plus grosse période d’activité. C’est le prix à payer ». Alors, quels conseils aurait-elle pour une personne qui s’interroge sur un potentiel changement de vie ? « Ce n’est pas à moi d’en donner, car aucune expérience ne ressemble à une autre. Je serais plutôt dans l’écoute, et je dirais à mon interlocuteur de se faire confiance. De mon côté, j’ai su saisir des occasions qui se sont présentées à moi. Attention, ça n’est pas pour autant facile tous les jours : ce n’est pas parce qu’on entreprend une vie rêvée que c’est un rêve ! Mais ça y ressemble quand même un peu. »
– Texte © Corinne Martin-Rozès –
– Photos © Philippe Schaeffer / Cassandre Michel / Les Nouveaux Audacieux –
– Texte et photos ne sont pas libres de droit –
Catégories :Reconversion
Quel parcours inattendu ! Bravo Cassandre !
Article partagé pour les collègues en recherche de nouvelles activités dans le cadre de leur mise en disponibilité sur https://www.facebook.com/profsendispo/.
Claire/Profsendispo
Elle avait besoin de toucher la matière, audacieuse, elle a su trouver le chemin qui la menait vers ses aspirations. Je reconnais bien là ma fille et le riche héritage de ses grands mères
Bravo Cassandre.TU peux jeter un coup d’œil au livre de C Pépin qui s’intitule la confiance en soi
Très beau témoignage. Je trouve que c’est vraiment courageux de changer complètement de carrière. C’est vrai qu’il faut avoir confiance en soi mais avant tout du courage!
Bravo pour son courage tout d’abord et aussi je la félicite d’avoir fait de sa passion son métier