Ingénieur télécom, puis créateur et dirigeant d’entreprise, Alain Amariglio décide un beau jour de tourner la page pour réaliser un vieux rêve : enseigner. Aujourd’hui instituteur, il raconte sa nouvelle vie dans un livre qui vient de paraître, intitulé « Dans la classe ». Pour Les Nouveaux Audacieux, il revient sur son parcours et sur les motivations qui l’ont poussé à se reconvertir, mais raconte aussi son bonheur d’avoir sauté le pas.
Fini les conseils d’administration, la gestion d’une entreprise, la course aux contrats. Aujourd’hui, à 49 ans, Alain Amariglio est revenu à ses premières amours : l’enseignement. Instituteur à Paris, il puise chaque jour son énergie dans sa salle de classe, auprès de ses élèves de primaire. « J’ai beau faire, tout m’intéresse » aime-t-il rappeler, citant Paul Valéry. Lui qui se définit comme un rêveur attentif, conciliant mais déterminé, est aujourd’hui un professeur des écoles heureux, après avoir goûté pendant des années à la griserie du monde de l’entreprise. Sans regret aucun, ainsi qu’il le raconte dans son tout dernier ouvrage intitulé « Dans la classe » et publié à la rentrée 2014.
« Notre jeune entreprise a dévoré notre temps, orienté nos réflexions et modifié nos priorités suivant la logique de sa survie puis de son développement »
Dès les petites classes, Alain Amariglio a aimé l’école, et son parcours sans faute le conduit à Télécom Paris, d’où il sort avec un diplôme d’ingénieur en 1988. L’élève sérieux qu’il est s’investit aussi beaucoup dans des activités parascolaires, notamment le club d’échecs de son école, qu’il fréquente assidûment. Lorsqu’il choisit sa voie, n’ayant guère envie de rentrer dans une grande structure, il opte avec des amis pour une création d’entreprise, avec un projet précis en tête : « Fils ou petits-fils d’enseignants, utopistes, refaisant sans cesse le monde et désireux de le sauver sans bien savoir comment, nous pensions que les ordinateurs allaient révolutionner l’enseignement. Notre projet : personnaliser les contenus pédagogiques en utilisant le profil pédagogique de chaque élève. (…) De passionnants travaux de recherche en perspective » raconte-t-il dans son livre. Pour se financer, les futurs associés créent une start-up informatique baptisée SLP InfoWare. « Une idée naïve. Une jeune entreprise ne crée pas de ressources, elle en consomme. (…) Elle n’a pas nourri nos travaux mais dévoré notre temps, absorbé notre énergie, orienté nos réflexions, modifié nos priorités suivant la logique de sa survie puis de son développement. Nos recherches sont passées au second plan, ont été mises de côté puis abandonnée ». Adieu au projet éducatif, bonjour à la logique d’entreprise : un tout jeune bébé dont il faut s’occuper chaque jour afin de lui assurer une saine croissance. Difficile pour autant, dans ce tourbillon, de faire les choses comme on voudrait les faire, dans l’idéal. « Nous cherchions alors à nous approcher de notre conception d’une vraie entreprise, sans jamais y parvenir tout à fait » avoue Alain.
« Je ne voulais plus vivre dans un monde virtuel »
Porté par ses créateurs et une conjoncture favorable, SLP InfoWare décolle. Cela va vite, très vite. « Les contrats devenaient plus importants, les clients plus exigeants, les employés plus nombreux, le jeu plus sérieux, plus rapide, plus difficile. Plus excitant. (…) Il fallait de l’argent, toujours plus. C’était devenu un sujet central » se souvient-il. Des investisseurs étrangers font leur apparition dans le paysage, et la petite entreprise gagne peu à peu ses galons d’acteur reconnu dans le monde des technologies numériques. Jusqu’au jour où les actionnaires majoritaires décident de la céder à un grand groupe. Après quinze années passées sur ce rythme fou, Alain s’interroge : a-t-il envie de continuer ainsi à « jouer à l’entreprise » ? En fait non : « je ne voulais plus vivre dans un monde virtuel. Hors sol. » Il se remet alors à songer à l’enseignement, mais différemment, avec l’envie de s’y plonger en direct, très concrètement.
« J’ai découvert en moi une formidable motivation, un besoin viscéral d’être utile »
Une fois rachetée, SLP InfoWare subit un plan social, et c’est dans ce cadre qu’Alain décide de préparer le concours de recrutement de professeurs des écoles (CRPE) par le CNED. Il y ajoute du soutien scolaire bénévole et quelques stages d’observation en école pour mieux appréhender la réalité concrète, au-delà des épreuves essentiellement théoriques. « Il a aussi fallu que je remette à courir pour l’épreuve de demi-fond… ce qui ne m’a pas fait de mal ! » plaisante-t-il. Au fond de lui se fait jour une formidable motivation, l’envie d’être utile, de transmettre. C’est à l’école primaire qu’il aspire, « l’école première, celle où tout se joue, où tout semble possible.». Il entre alors à l’IUFM de Paris, avec chevillé au corps un enthousiasme de jeune instituteur. « J’ai compté les jours. J’allais enseigner ! Faire découvrir à mes élèves les merveilles de la nature, les trésors de la culture, leur transmettre notre histoire. (…) Encourager leur capacité d’émerveillement. Développer leur goût de l’approfondissement. De l’aboutissement. Du travail bien fait, du travail gratuit, sans nécessité immédiate, sans récompense » raconte-t-il.
« Certains, hélas, persistent à considérer que le choix d’un métier de cœur moins bien rémunéré est nécessairement un ‘’second choix’’ »
Autour de lui, ses proches le soutiennent, même s’ils s’avouent surpris. « Un ingénieur qui devient instit, c’est peu courant, mais ça existe ! Même dans une école aussi prestigieuse que Télécom Paris, je ne suis pas le seul, ni même le premier » indique pourtant Alain, avant d’ajouter dans un sourire « ceci dit, je suis peut-être le premier à avoir enseigné dans l’école primaire de la rue de la Providence, à 100 mètres de mon école d’ingénieurs ! Tout un symbole ». Dans sa famille, des enseignants lui apportent leur aide et leurs conseils, ce qui se révèle très utile lorsqu’il doit assurer sa première rentrée en maternelle, sans aucune formation… Mais les soutiens viennent aussi des étudiants de l’IUFM et de ses nouveaux collègues, souvent intrigués par son parcours et sensibles à la diversité qu’il apportait. Au-delà de ces témoignages positifs, « les réactions les plus décevantes sont venues de personnes qui persistent à considérer que le choix d’un métier de cœur moins bien rémunéré est nécessairement un ‘’second choix’’, au sens d’un choix de seconde catégorie. Nombreux furent ceux qui n’ont pu s’empêcher de relativiser, certains qu’un jour je redeviendrai ‘’raisonnable’’. Car comme dit un proverbe, la grenouille au fond du tonneau est convaincue que le ciel est rond ! » ajoute avec humour Alain, qui reconnaît cependant à quel point il est difficile de donner des conseils à quelqu’un qui entame ce type de reconversion. Depuis que son livre est sorti, il reçoit d’ailleurs beaucoup de messages de personnes qui souhaitent quitter leur emploi actuel pour préparer le concours et devenir enseignants. « C’est très impressionnant. Je n’ai pas dans l’idée de les encourager systématiquement, car je n’en sais pas assez pour le faire. En outre, je ne connais pas leur parcours individuel, je ne sais pas s’ils se sont effectivement projetés, dans leur situation future, certes, mais aussi dans le chemin qui y conduit. En la matière, il n’y a que des cas particuliers et aucun conseil universel » commente-t-il.
« Mon rêve ? Une école plus forte et plus ouverte »
Aujourd’hui, Alain se sent un enseignant comme les autres… ou presque. « Je conserve ma petite note personnelle, héritée de mon expérience et liée à ma motivation initiale. Je suis aussi plus agacé que d’autres, peut-être, par les lacunes que je repère dans l’organisation de l’Education Nationale » confesse-t-il. Son rêve ? Inventer une autre école, plus forte et plus ouverte. « C’est vraiment un rêve, car sur cela, j’ai peu de prise… ». Et demain ? « Quand je suis allé présenter mon livre sur Europe 1, l’un des enfants présents m’a demandé : ce sera quoi, ton prochain métier, alors ? Comme si à partir du moment où j’en avais changé une fois, j’allais recommencer. C’est peut-être vrai ? » s’interroge-t-il tout haut. En attendant, ce sont ses élèves qui lui fournissent le meilleur carburant qui soit, avec leurs mots si vrais, si spontanés. Comme le petit James qui, lors de la première année scolaire d’Alain, lui a déclaré à la veille de Noël : « Maître, c’est la première fois que je ne veux pas partir en vacances ». Ou encore la déclaration d’Hector (CM1), avec qui Alain discutait, pendant une récréation, des choix professionnels et de ce qu’il avait fait avant. « A la fin il m’a dit : ‘’mais là, instituteur, c’est pas ton deuxième métier, c’est ton VRAI métier’’ ».
Texte Corinne Martin-Rozès
-Textes et images ne sont pas libres de droits-
Retrouvez Alain Amariglio sur son site internet www.alain-amariglio.com et sur twitter @Alain_Amariglio
Son dernier livre « Dans la classe », édité par Equateurs, est disponible chez votre libraire. Prix : environ 19€.
Sur l’aventure de SLP InfoWare, il avait publié en 2005 un premier livre : « Il était un petit navire », aux Editions du Losange.
Catégories :Reconversion
Ah si tous les professionnels avaient l’envie chevillée au corps comme vous ! D’autant plus dans des métiers d’apprentissage et de transmission comme le vôtre. Bravo !
Quel magnifique parcours! Quelle chance pour ses élèves d’avoir un enseignant passionné! Et pourtant cette passion n’aurait peut être pas explosé si fort si Alain n’avait pas vécu sa carrière précédente, celle qui a façonné ses besoins, ses envies. Je lui souhaite, au moins à son échelle, de construire l’école dont il rêve, plus ouverte et plus forte!
Pour ma part, je fais le chemin inverse. Je suis professeur des écoles, j’aime ce métier, c’est un métier passion, mais les conditions dans lesquelles je l’exerce en font une épreuve. Malheureusement. Pas tous les jours facile non plus l’enseignement! Je souhaite comme Alain changer de cap avec succès, mais les édifices sont longs à bâtir!
C’est beau !
J’ai lu cet article avec beaucoup de plaisirs. En outre Telecom Paris(Tech), rue de la Providence je connais tellement 🙂 🙂