Graphiste dans une première vie, Amélie M. a attendu la trentaine pour laisser s’exprimer l’autre vocation qui était en elle depuis longtemps et devenir infirmière. Une reconversion ardue, qui a demandé beaucoup de volonté et de persévérance, mais qui lui permet aujourd’hui d’exercer enfin un métier en totale adéquation avec elle-même.
Chaque matin, Amélie M. se lève désormais avec l’envie de croquer la nouvelle journée qui commence. La jeune femme de 37 ans, aujourd’hui infirmière pour un service de soin à domicile, visite une dizaine de personnes âgées chez elles, avant de regagner l’hôpital auquel elle est rattachée. « Je me sens pleinement épanouie dans cette nouvelle vie, qui correspond à mes aspirations et à ce que je suis vraiment, c’est-à-dire quelqu’un qui aime prendre soin des autres » confie-t-elle avec un sourire pétillant. A l’origine pourtant, Amélie avait pris une tout autre orientation, puisqu’elle a commencé par exercer le métier de graphiste. Retour sur un parcours qui n’allait pas de soi et sur la découverte de sa vocation.
« Adolescente, je ne rêvais que d’une chose : quitter les bancs de l’école pour travailler »
Amélie passe son enfance dans la banlieue ouest de Paris. « Je n’étais pas franchement une bonne élève, et je terminais toujours ric-rac les années scolaires » se souvient-elle. Dès la troisième, elle sait qu’elle a envie d’être graphiste ou architecte, et s’accroche pour aller jusqu’au bac, même si elle ne rêve que d’une chose : quitter les bancs de l’école pour travailler, le plus vite possible. En dehors du lycée, elle donne libre cours à ses talents artistiques, qui se révèlent nombreux : danse classique, chorale, théâtre… Par elle-même et par goût, elle apprend le dessin. Elle passe un bac L option art (A3), non sans avoir envie d’étudier la biologie, qui l’attire aussi : hélas, le mélange art et sciences n’existe dans aucune filière. Après une année aux Ateliers de Sèvres, elle réussit le concours des arts appliqués et intègre la prestigieuse école Duperré, dont elle sort à 23 ans avec un diplôme de communication visuelle. Parallèlement à ses études, Amélie s’investit dans des causes humanitaires, donnant de son temps auprès des plus fragiles : en Roumanie auprès d’adultes handicapés, à Lourdes auprès de personnes âgées en pèlerinage, etc. « J’avais en moi cette passion du soin, ce désir d’aider les autres » raconte-t-elle.
« Je ressentais chaque jour plus fort ce besoin d’aller vers les autres »
A peine sortie de Duperré, Amélie se marie et commence à travailler, enchaînant les postes dans des agences de création visuelle. Au bout de trois ans, devenue maman, elle décide de se mettre à son compte pour pouvoir concilier vie professionnelle et vie de famille. « Ce fut une erreur, il était trop tôt pour cela. Au lieu de me libérer, ce statut m’a enfermée dans ce que je savais faire, dans un confort illusoire. Je ne bénéficiais plus de l’émulation qui existe en agence, et j’ai raté le train des nouvelles technologies comme la 3D, l’animation et le web. Au bout de sept ans, j’étais has-been, avec mon amour du papier, de l’encre et des vernis… Je l’ai ressenti encore plus cruellement lorsque j’ai recommencé à chercher un job en agence : on m’a vite fait comprendre que j’étais dépassée. Cerise sur le gâteau, j’avais trois enfants. Tout ceci pesait lourd dans la balance » raconte-t-elle. A partir de là, deux options s’offrent à elle : soit se former pour se remettre à niveau, soit changer de voie. Pendant deux ans, elle se cherche, entre bilan de compétences et activités artistiques d’appoint (broderies, articles pour enfants). « Je ressentais chaque jour plus fort ce besoin d’aller vers les autres, et recommencer à créer des prospectus qui finiraient directement à la poubelle ne rimait plus à rien pour moi » ajoute-t-elle.
« J’ai fini par réaliser que j’interdisais à ma vocation, pourtant profonde, de s’exprimer »
Amélie se met alors à la recherche de métiers qui allient l’art et le social, voire le médical. Elle découvre l’art-thérapie, mais pour préparer le Diplôme Universitaire il faut débourser… 6 000€ ! « Quand ce n’est pas financé par votre employeur, et quand votre statut ne vous donne droit à aucune formation, pas évident de se reconvertir » déplore-t-elle. Elle regarde alors vers le métier d’animateur, avec l’idée d’organiser des ateliers dans les maisons pour enfants handicapés, les maisons de retraites,… « Ces options m’intéressaient, mais au fond de moi je savais que j’avais envie d’autre chose. A chaque fois que je croisais les pistes, je retombais sur un profil : infirmière. Le souci, c’est que je m’étais mis des barrières toute seule : j’étais l’artiste de la famille, Amélie tête-en-l’air, et j’interdisais à ma vocation, pourtant profonde, de s’exprimer. Et puis un jour, j’ai décidé d’affronter ce défi, rien que d’y repenser, j’en ai les larmes aux yeux. Ce fut un acte fort, car j’ai toujours manqué de confiance en moi. Mais je ne pouvais plus lutter » relate-t-elle. Pour tester l’idée sur ses proches, elle choisit les personnes qui, selon elle, seront le plus réticentes et là, surprise, la réaction est diamétralement opposée à ce qu’elle redoutait : non seulement on lui dit que c’est un magnifique métier, mais aussi qu’il lui ira comme un gant. Elle a alors 32 ans et décide de tenter l’aventure.
« Moi qui avais toujours été « nulle en sciences », je ne m’en sortais pas si mal ! »
Pendant un an, Amélie prépare alors le concours de l’école d’infirmière toute seule, chez elle, tout en faisant en sorte que cela ne perturbe pas la dynamique familiale. « J’ai bossé comme une folle, c’était grisant. Chaque soir, je racontais à mon mari ce que j’avais appris dans la journée, j’étais pleine d’enthousiasme. J’avançais, je m’auto-évaluais, je constatais mes progrès. Moi qui avais toujours été « nulle en sciences« , je ne m’en sortais pas si mal ! Malgré ça, je ne voulais pas me confronter aux autres, j’ai avancé cachée, sans contact avec d’autres candidats. Pour tout dire, j’étais persuadée que j’allais échouer mais je voulais essayer malgré tout, pour me prouver quelque chose à moi-même. Et j’ai tenu bon, malgré des moments de profond découragement » indique-t-elle. Lorsque tombent les résultats, Amélie n’en revient pas : non seulement elle a réussi les deux concours qu’elle a présentés (le privé à Sainte-Anne et le public à l’APHP), mais elle est classée de telle sorte qu’elle peut choisir et opte pour le public.
« Plus d’une fois, j’ai failli jeter l’éponge »
A la rentrée 2013, Amélie intègre donc l’Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) qui jouxte l’hôpital Ambroise Paré, à Boulogne-Billancourt. « A notre arrivée, on nous a dit que nous ressortirions différents de ce cursus. Si j’avais pu me douter à quel point c’était vrai ! » se souvient la jeune femme. Elle rencontre alors ses camarades de promotion, une centaine, aux profils variés : étudiants, aides-soignantes et personnes en reconversion. « J’ai découvert avec eux une solidarité extraordinaire. On s’épaulait, on se passait les cours, on se remontait le moral dans les phases difficiles, et elles sont nombreuses. En effet, il faut non seulement être très régulier en matière d’études, avec des partiels tous les mois, mais également passer le cap difficile des stages hospitaliers où on ne fait pas de cadeaux aux nouveaux et où le climat de travail est souvent très dur. Ces mises à l’épreuve sont difficiles à vivre (certains abandonnent d’ailleurs à cause de ça), mais elles sont très formatrices. Elles permettent aussi d’apprendre les gestes techniques, tels que la toilette ou la prise de sang, et d’être réellement opérationnel… Comme je doutais encore beaucoup de moi, les formatrices m’ont attribué des stages particulièrement exigeants, pour me prouver que j’étais capable d’y arriver » indique-t-elle. Plus d’une fois, Amélie se dit qu’elle va jeter l’éponge. Elle est épuisée et c’est normal : levée chaque jour à 5h pour aller à l’hôpital, elle rentre ensuite chez elle s’occuper des enfants et de la maison, et se remet à étudier à partir de 22h. Elle traverse de grosses crises de doute, persuadée qu’elle ne peut pas réussir. Autour d’elle, ses proches la soutiennent et l’aident à tenir le coup, et sa volonté fait le reste : à l’été 2016, elle obtient son diplôme d’Etat. Une belle victoire après trois années de dur labeur. Et la preuve qu’il faut toujours croire en ses rêves !
« Ce qui est extraordinaire avec la formation d’infirmière, c’est qu’elle ouvre un immense champ des possibles »
En sortant de l’école, la jeune femme a à peine le temps de chercher qu’on lui propose un poste idéal pour elle, plus relationnel que technique : les soins à domicile en gériatrie. « Je suis salariée d’un SIAD (Service de soin infirmier à domicile) qui dépend d’un hôpital gériatrique. Chaque matin dès 8h, je me rends chez une dizaine de personnes âgées qui ont choisi le maintien à domicile : gestion du pilulier, pansements, aide à la toilette, pouls, prise de tension… En fin de tournée, vers 14h30, je rentre au bureau où je retrouve mes collègues : on échange, on assure la transmission des informations autour de nos patients, puis je m’occupe jusqu’à 16h des relations avec les médecins et les laboratoires. L’ambiance est formidable, nous sommes tous là par choix, par amour du métier, et ça se ressent » raconte-t-elle. Si elle est très heureuse dans ce travail, Amélie ne pense pas pour autant faire ça toute sa vie. Elle redoute avant tout de s’enfermer dans un confort dont elle aurait du mal à s’extraire. « J’envisage à moyen terme d’autres options, sous réserve qu’elles soient compatibles avec ma vie de famille : en hôpital de jour ou encore à Garches, en accompagnement d’enfants myopathes, une activité que j’ai déjà exercée et vers laquelle j’aimerais retourner. Et, à plus long terme, je n’exclus pas de revenir dans un service hospitalier, en psychiatrie, car cela m’intéresse beaucoup. Ou pourquoi pas d’exercer en libéral, en entreprise, en milieu scolaire… Ce qui est extraordinaire avec la formation d’infirmière, c’est qu’elle ouvre un immense champ des possibles » se réjouit-elle.
« J’ai fini par me convaincre que j’étais aussi légitime qu’une autre »
Si elle est comme un poisson dans l’eau aujourd’hui, Amélie reconnaît que sa reconversion a été une entreprise très éprouvante. « Il ne faut pas se voiler la face : c’est un moment qui peut se révéler difficile pour soi-même, pour son couple, pour sa famille, pour sa santé aussi. Si j’ai pu le faire, c’est aussi parce que mon mari assurait les revenus du foyer, sinon cela aurait été matériellement impossible » précise-t-elle. Ces réserves faites, elle ne regrette rien et mesure à quel point cela a changé non seulement sa vie, mais aussi le regard qu’elle porte sur elle-même. « Au fur et à mesure que je passais chaque étape, j’ai réalisé qu’il y avait finalement une place pour moi dans ce métier, que j’étais aussi légitime qu’une autre. Je me suis étonnée moi-même et je suis heureuse d’avoir fait ce chemin » ajoute-t-elle avant de conclure en citant cet aphorisme d’Oscar Wilde qui l’a guidée jusque là : « Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles ».
Texte © Corinne Martin-Rozès / Illustration de couverture © Freepik –
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Magnifique témoignage !
Merci Corinne et bravo Amélie !
Merci Marjorie 😉
Très beau témoignage pour une reconversion particulièrement exigeante.
Bravo Amélie c’est une très belle réussite!
Très beau témoignage, c’est courageux, Bravo !
Inversement, on peut très vite être profondément déçu par le monde hospitalier car l’usure est réelle. EN France, les soignants sont trop mal considérés et mal payés, d’où un turn over qui peut vous renvoyer souvent… à la case départ.
Amélie, comment a tu fais financièrement pendant les 3 ans d’école. Je veux tenter l’aventure de cette reconversion, mais je n’ai le droit qu’a 2 ans d’indemnité chômage.