Le métier de commercial ne lui plaisait vraiment pas. Alors un jour, Eric a tout laissé derrière lui pour tenter l’aventure sur les routes d’Asie centrale, sac au dos. A son retour, il a monté sa petite entreprise de fumage des poissons et vend aujourd’hui sa production sur un marché d’Ile-de-France. Histoire d’un jeune artisan qui prend le temps de bien faire les choses.
Sur le marché où je l’ai rencontré, Eric Barnoud parle de ses produits avec un enthousiasme communicatif. Lui et le saumon, c’est une longue histoire qui remonte à plus de quinze ans, époque à laquelle il fumait son premier poisson dans le jardin de ses parents, pour le simple plaisir de la dégustation. Si on lui avait dit alors qu’il en ferait un jour son métier, il ne l’aurait sûrement pas cru ! Pourtant, aujourd’hui, Eric a monté sa société, La Fumerie du Coin. Adepte des circuits courts, il travaille avec passion des saumons sélectionnés avec soin auprès d’éleveurs et les vend au public en direct : ce contact avec les clients constitue l’un de ses moteurs. Car le jeune entrepreneur de 35 ans est avant tout un homme qui cultive l’art de vivre et de prendre son temps.
« Je gagnais bien ma vie, l’équipe était sympa, mais le métier en lui-même ne me plaisait pas »
Après un bac scientifique choisi par défaut, ayant quelques facilités mais pas de réelle vocation, Eric commence par s’orienter vers la fac d’économie et gestion, puis intègre une école de commerce. Une fois diplômé, il travaille six ans dans des fonctions commerciales au sein d’entreprises B2B. « Je gagnais bien ma vie, l’équipe était sympa, mais le métier en lui-même ne me plaisait pas. Ma compagne étant dans le même cas, nous avons décidé en 2014 de faire une pause et de tout plaquer pour partir, sac au dos, en Asie centrale » raconte-t-il. Ils atterrissent en Ouzbékistan, sans trop savoir combien de temps va durer leur voyage, mais avec la ferme intention de prendre leur temps. Ils traversent plusieurs pays, dorment chez l’habitant, échangent parfois leur gîte contre du travail, font du woofing, s’immergent dans la vie des populations locales et prennent beaucoup de photos que l’on peut encore voir sur leur blog de voyage. « Nous avons rencontré de nombreux artisans qui travaillent en mode local, en réseau avec d’autres artisans, et qui partagent l’amour du travail bien fait » se souvient-il. Quinze mois après leur départ, ils reprennent l’avion pour Paris depuis l’Indonésie, après être notamment passés par la Chine, le Laos, la Birmanie et l’Inde. Et déjà, dans l’esprit d’Eric, l’idée est là : créer son entreprise artisanale, tenter l’aventure du circuit court. Il n’y a plus qu’à…
« J’ai choisi de travailler en prenant le temps de bien faire les choses »
« Je suis rentré avec cette envie et rapidement, j’ai affiné mon projet à partir d’une activité que je pratiquais déjà, en amateur. Depuis une quinzaine d’années en effet, je fumais du saumon au fond du jardin de mes parents, en région parisienne, avec mon frère et des copains. Nous avions construit notre fumoir et commencé à produire pour le plaisir de déguster de bonnes choses. Je le faisais tous les hivers, pour ma famille, mes amis : cela m’a notamment permis de financer l’achat d’un appareil photo pour mon voyage en Asie. Je ne partais donc pas de zéro ! » indique Eric. En suivant cette idée, à l’automne 2015, il commence à se renseigner, va rencontrer des artisans fumeurs, furète à Rungis… Puis les choses se précisent, avec une formation HACCT (obligatoire pour tout professionnel dans l’alimentaire) et un stage de trois jours chez Rodolphe Belghazi, maître artisan saurisseur et formateur basé en Normandie. Puis il formalise sa création d’entreprise et trouve un local tout près de Versailles, à Jouy-en-Josas, sur une petite zone artisanale qui vient d’ouvrir. « J’ai passé mon enfance ici et, quand j’ai décidé de lancer mon activité, m’implanter sur ce secteur que je connais bien a été une évidence » ajoute-t-il.
« Mon but est de travailler à l’échelle locale et de pouvoir échanger avec mes clients »
L’entreprise voit finalement le jour à l’automne 2022, et Eric fait ses premiers marchés au mois de novembre. « Mon but est de travailler en local, d’être sincère dans ma démarche de commercialisation, transparent sur l’origine des poissons et mes méthodes de travail… Je veux échanger avec mes clients, avoir leur retour, pouvoir leur expliquer ce qu’ils veulent savoir. Par exemple, je travaille uniquement avec des élevages labellisés (rouge ou bio), en Ecosse et en Irlande pour l’instant, mais j’ai un projet avec une ferme expérimentale située en Normandie et je viens de commencer la coquille Saint-Jacques (fumée, bien sûr) en provenance de la Manche. Au programme aussi, dès que j’aurai trouvé le bon partenaire, le maquereau et la truite ! » commente Eric avec enthousiasme, avant de poursuivre : « Les techniques de base du métier sont assez simples : c’est le tour de main qui fait la différence, les années d’expérience. Je me lance, avec humilité, je progresse chaque jour, je me fais plaisir et je fais plaisir à mes clients : c’est déjà formidable. J’ai choisi de travailler en prenant le temps de bien faire les choses, en ménageant des temps d’attente entre chaque étape pour garantir la maturation du saumon, c’est une garantie de qualité ».
« J’ai senti que certains amis se projetaient dans le défi que je me lançais, un peu par procuration »
Bien entendu, pas évident de démarrer quand on n’a aucun revenu. Heureusement, la compagne d’Eric a repris le chemin du salariat et elle le soutient à cent cinquante pour cent : cette stabilité financière lui permet de tenir le coup, car pour le moment, il ne peut pas encore se dégager de salaire. Dans leur entourage, les réactions à la création de l’entreprise ont parfois été déroutantes, se souvient Eric : « de très bons amis m’ont dit que j’étais fou, que ça ne marcherait jamais. D’autres m’ont dit de foncer. J’ai même senti que certains se projetaient dans le défi que je me lançais, un peu par procuration ». Pour l’instant, il se dit qu’il a peut-être été fou, en effet, mais il s’éclate et c’est ça l’important. « Je ne compte pas mes heures, mais qu’importe, c’est normal, il faut lancer l’activité ! Je ne regrette rien en tout cas : cette aventure est tellement formatrice ! Elle me permet de m’interroger sur plein de sujets et surtout de croiser une quantité incroyable de personnes très inspirantes que je n’aurais jamais rencontrées dans mon ancienne vie » ajoute-t-il.
« Mon ambition n’est pas de gagner beaucoup d’argent, mais de pratiquer mon métier à une échelle humaine »
Sa petite entreprise, Eric a juste envie qu’elle prenne sa vitesse de croisière et ne souhaite pas la voir devenir trop grande. Son ambition n’est pas de gagner beaucoup d’argent, mais de pratiquer son métier à une échelle humaine, en créant un modèle qui fonctionne localement, quitte à fédérer ensuite d’autres indépendants comme lui, quelque chose entre la franchise et la coopérative, pourquoi pas ? « J’ai une foule d’idées mais je n’en suis pas là… Il faut déjà que mon activité devienne rentable, tout en me permettant d’avoir une vie équilibrée et du temps pour ma famille. Je n’ai pas l’intention de me tuer à la tâche, je compte d’ailleurs embaucher quelqu’un à mes côtés dès que ce sera possible. Quant au long terme, je ne ferme aucune porte, je garde les yeux et les oreilles ouverts, qui sait de quoi sera fait demain ? » conclut-il.
– Texte © Corinne Martin-Rozès – Photos © Corinne Martin-Rozès / Eric Barnoud –
– Texte et photos ne sont pas libres de droit –
Pour en savoir plus sur Eric Barnoud et La Fumerie du Coin, RV sur le site internet, sur la page Facebook de l’entreprise et sur Instagram.
Si vous habitez dans les Yvelines, vous pouvez aussi rencontrer Eric sur le marché Notre-Dame, à Versailles, les vendredis et dimanche, de 7h à 14h. Dès le mois de mars, il vendra aussi ses produits directement à l’atelier (horaires d’ouverture à venir sur le site internet / ZA du Pont Colbert, 271 B Rue Charles de Gaulle, 78350 Jouy-en-Josas).
Catégories :Création d'entreprise, Reconversion
Bonjour Corrine,
Super exemple de reconversion.
En voyant qu’Eric était passé de commercial à artisan fumeur, je me suis dit “Arf, ça va parler d’une expérience tellement décorrellée de la réalité des gens (car je pense que le pourcentage de personnes qui veulent devenir artisans fumeur n’explose pas) qu’ils ne pourront pas s’y retrouver.”.
Mais finalement, je trouve que l’article et le témoignage d’Eric sont tout à fait pragmatiques. Ca montre justement que l’idée de devenir artisan fumeur n’est pas tombée du ciel. Ca vient d’un passé, d’une activité qui existait déjà avant la reconversion.
On voit que la démarche d’Eric a été très pragmatique :
il se base sur un savoir-faire qu’il avait déjà en partie
il sait qu’il aime le métier car il l’a déjà pratiqué auparavant
il a déjà réalisé des ventes de façon amateur
il va voir les acteurs du marché pour comprendre comment s’y intégrer avant de se lancer à corps perdu dans l’aventure
Ca me fait penser à “Connecting the dots”, une idée avancée par Steve Jobs dans son discours d’ouverture de la cérémonie de remise des diplômes à l’université de Stanford en 2005 : https://www.youtube.com/watch?v=PL93J3ojc3M.
Il dit qu’il ne faut pas hésiter à faire des choses juste parce qu’elles nous font envie, et même si elles ont l’air de ne pas faire sens avec notre métier/nos études actuelles. Car, plus tard, en regardant en arrière, on pourra “connect the dots” (relier les points), c’est-à-dire trouver un lien entre différentes choses qu’on a faites par le passé.
Dans l’exemple d’Eric, il a “relié les points” en redécouvrant son plaisir à fumer des saumons, expérience déjà vécue. Puis à décider de faire passer cette activité du banc “hobby” au banc “métier principal”.
P.S : ça m’a donné envie de manger du saumon à midi 😉