Cécile, chef cuisinier : « Toutes mes expériences professionnelles m’ont constituée telle que je suis aujourd’hui »

Si elle a toujours aimé cuisiner, Cécile Hatchuel ne s’était pas imaginé devenir chef avant la trentaine. Après une première carrière dans la publicité et la naissance de ses trois enfants, suite à un souci de santé, elle revoit toutes ses priorités et passe son CAP Cuisine à 37 ans. Aujourd’hui, elle s’épanouit aux fourneaux de La Mangette, le restaurant qu’elle a ouvert en août dernier.

Cécile Hatchuel © Corinne Martin-Rozès

Cécile Hatchuel © Corinne Martin-Rozès

Croquer la vie à pleines dents, pour profiter de chaque instant : telle pourrait être la devise de Cécile Hatchuel. La jeune quadra, qui est passée de la publicité aux fourneaux, se sent aujourd’hui totalement à sa place, fière d’avoir porté son projet et heureuse de le voir si bien reçu par les clients qui se pressent chaque jour dans son restaurant de Versailles, La Mangette. « Tous les doutes que j’ai pu avoir pendant le montage sont levés. La cuisine ouverte, l’ardoise renouvelée chaque jour, la formule autour des produits de saison, locaux et majoritairement bio : mes partis pris semblent correspondre à une véritable attente des gens. Au-delà de cette adhésion, qui me ravit, je suis heureuse de voir se constituer une sorte de petite communauté autour du lieu : les gens viennent et reviennent, on discute, on échange des recettes… La cuisine, ça ne doit pas être quelque chose de sacralisé : le chef n’est pas dans sa tour d’ivoire, il se doit d’être au milieu des convives, de les écouter, de partager avec eux sa philosophie. Cette communauté dont je parle va de l’amont à l’aval, puisque j’y inclus aussi les producteurs, notamment celui qui me fournit les légumes. Tout ceci me donne une pêche incroyable, et chaque matin je me lève avec l’envie de vivre à 100% ma journée ! » indique Cécile Hatchuel avec un sourire riche de promesses.

« Enfin, je comprenais à quoi servait ce que j’apprenais »

Aussi longtemps qu’elle s’en souvienne, Cécile a toujours aimé jouer au marmiton. « Ma mère est une fine cuisinière. Elle a appris seule, par passion. Toute mon enfance, je l’ai observée et aidée. Elle recevait beaucoup et réalisait des plats très élaborés, et ma passion pour la cuisine a commencé là, à ses côtés » explique Cécile. La jeune fille ne se plait guère au collège, ni au lycée. Elle préfère aller à la gym ou à la danse. Mais dans une famille où le père est polytechnicien, les études, c’est important ! La lycéenne s’accroche en filière générale jusqu’en seconde, puis bifurque en première vers un bac gestion (G). « Ce premier virage a été une révélation : enfin, je comprenais à quoi servait ce que j’apprenais. C’était concret. Mes professeurs avaient les pieds sur terre et une expérience de l’entreprise, ils étaient humainement plus ouverts, ça m’a fait du bien ! » raconte-t-elle. Après son bac, elle enchaîne sur un IUT Techniques de Commercialisation dont elle garde un très bon souvenir : membre active d’une association qui aide les étudiants à trouver un job, elle y côtoie le monde de l’entreprise et y rencontre son futur mari. Enfin, elle intègre Sup de co Marseille (aujourd’hui Euromed Management), où elle se spécialise par goût en marketing et communication. Après sa sortie, elle est embauchée par l’agence de publicité Venise où elle passe quelques années avant de rejoindre une autre agence, Alice.  « C’était passionnant et l’ambiance était humainement au top. Mais un groupe anglo-saxon a racheté la structure et la donne a changé. Alors que j’étais enceinte de mon premier enfant, un plan de départ volontaire s’est présenté et j’ai sauté dans ce train » poursuit Cécile.

« Pendant ma grossesse, la futilité de mon métier m’est apparue »

La Mangette © Corinne Martin-Rozès

Il faut dire que la grossesse de Cécile marque un véritable tournant pour elle. Une sorte de déclic, une prise de conscience. « Je me préparais à donner la vie, et j’ai soudainement réalisé à quel point ce que je faisais était futile. Argumenter des heures pour la couleur d’une robe dans une pub, par exemple, ça sert à quoi ? A pas grand-chose. J’ai eu envie d’être plus utile que ça, mais aussi d’avoir du temps à consacrer à mes enfants. Alors j’ai commencé ma mue, lentement, à mon rythme » relate-t-elle. Cécile décide alors de travailler à temps partiel et se voit embauchée par une petite structure spécialisée dans les faire-part, juste à côté de chez elle. Son deuxième, puis son troisième enfant naissent. Pendant ce temps, son mari se reconvertit, passant de la publicité à la production sonore, avec une formation et une création d’entreprise à la clé. Une aventure qu’elle soutient et accompagne pour tous les aspects administratifs. On est en 2009, et Cécile, à qui ses amis disent depuis longtemps « tu devrais ouvrir un restaurant », n’a pas encore conscience que sa voie est là. « En fait, j’adorais recevoir mes copains, mais cuisiner pour des gens que je ne connaissais pas, cela me motivait moins » explique-t-elle. Un second déclic va alors faire basculer sa vie : un matin, elle se réveille avec un début de paralysie aux mains, aux pieds et au visage : une réaction neurologique à un virus, qui la conduit à passer trois longues journées en observation à l’hôpital. « Au démarrage, nul ne pouvait dire comment ça allait évoluer, je pouvais finir totalement paralysée. Heureusement, cela s’est résorbé et j’ai retrouvé progressivement toutes mes facultés. Mais je n’étais plus la même, j’avais pris conscience de la fragilité de la vie. Ma décision était prise : j’avais 36 ans et j’allais tout faire pour vivre de ma cuisine » confie-t-elle.

« Dans le milieu de la cuisine, j’ai découvert la culture du partage » 

La Mangette © Corinne Martin-Rozès

Sans hésiter, Cécile se dirige vers la voie classique du CAP, pour les bases qu’il donne mais aussi pour les stages auxquels il permet d’accéder. Elle est acceptée au Lycée Jean Drouant, une école hôtelière située dans le 17ème arrondissement de Paris : une formation d’octobre 2011 à mai 2012, en alternance 15/15 jours dans la cuisine centrale des restaurants Eat Me. «J’étais dans une classe d’adultes en reconversion, avec une vingtaine d’autres élèves aux profils variés, de 20 à 60 ans. Nos professeurs, plus habitués à lutter pour se faire entendre d’ados peu motivés, étaient ravis d’avoir avec nous des élèves attentifs. Ils ne comptaient pas leurs heures pour nous former. Chez Eat Me, mon maître de stage était également formidable : j’ai beaucoup appris à ses côtés, à tous les niveaux, y compris l’organisation ». Dans ce nouveau milieu, Cécile découvre la culture du partage. « Dans la pub, tout le monde se méfie de tout le monde, on cloisonne. Là, je me suis retrouvée avec des gens qui avaient envie de transmettre leur amour du métier, leurs trucs, leurs tours de main. C’était totalement nouveau pour moi, et j’ai trouvé ça fantastique. Aujourd’hui, je transmets moi-aussi ce que j’ai appris, puisque j’ai dans mon restaurant une alternante de ce lycée, en reconversion elle-aussi » explique Cécile. A l’issue de ce cursus, elle est directement embauchée chez Causses, à Paris, une épicerie restaurant dont le concept correspond presque trait pour trait à ce dont elle rêve : une cuisine ouverte sur la salle, des petits plats sains et savoureux cuisinés à base de produits frais. Pendant deux ans, elle officie dans cette cuisine, se lève aux aurores pour être sur place à 8 heures et se dépense sans compter. Mais le rythme est dur à tenir, avec trois petits enfants et de longs trajets matin et soir. Et l’idée d’ouvrir son propre restaurant est toujours là. « Je savais qu’à Versailles, où j’habite, il n’existait pas d’endroit comme celui dont je rêvais : un restaurant du midi où l’on peut manger sur place ou à emporter, de façon équilibrée, en se faisant plaisir et  sans lutter tout l’après midi pour digérer ! Un restaurant où la cuisine et la salle ne sont pas séparées, où l’on peut voir le chef et son équipe au travail, où l’on peut échanger avec eux ». Au printemps 2014 elle se lance, cherche un local et trouve un ancien pétrin de boulangerie à reprendre, dans une rue du centre. Il y a tout à créer, et Cécile a beau avoir une idée précise de ce qu’elle veut, elle a besoin d’une pro à ses côtés et fait appel à son amie Anne-Laure de la Mettrie, du cabinet Archi DS. Pour son financement, elle toque à la porte de trois banques : l’une ne lui répond même pas, l’autre ne propose rien d’intéressant, heureusement un conseiller de la Banque Populaire se montre enthousiasmé par le projet.  Après quatre mois de travaux, le 26 août 2015, c’est l’ouverture, enfin ! Et dès le premier jour, La Mangette fait salle comble : un succès qui ne se dément pas depuis. Sur place ou à emporter, le restaurant a déjà fédéré de nombreux habitués qui viennent y déjeuner chaque midi, accueillis par le sourire de Marie, son amie qui la suit avec enthousiasme depuis le début du projet.

« Quand on me dit que j’ai de la chance, ça me fait sourire »

Cécile Hatchuel et Marie Garcia © Corinne Martin-Rozès

Cécile Hatchuel et Marie Garcia © Corinne Martin-Rozès

Pour mener à bien sa reconversion et l’ouverture de son restaurant, Cécile confesse bien volontiers que le soutien de son mari Jérôme a été crucial. « Quand je partais à 6 heures du matin pendant ma formation, il a tout pris en charge au niveau familial, sans lui rien n’aurait été possible ! Une reconversion, c’est déjà difficile, tu as parfois des moments de doute. Alors si ton entourage n’est pas à fond derrière toi, ça constitue un frein sérieux. Bien sûr, mes parents se sont montrés inquiets car la cuisine est un métier difficile, exigeant. Mais aujourd’hui ils sont très heureux pour moi ! Mes enfants, eux, avaient des petites étoiles dans les yeux : Maman va avoir un restaurant, waouh !!! ». Ce qui étonne Cécile, c’est de voir à quel point son changement de vie suscite des réactions d’envie chez des personnes qui, elles, ne se résoudront jamais à quitter le confort de leur vie, même si elles sont insatisfaites, parce qu’elles ont un statut, un salaire, un niveau de vie qu’elles ne veulent pas remettre en jeu. « Quand on me dit que j’ai de la chance, ça me fait sourire ! J’ai pris des risques pour en arriver là : passer de cadre du tertiaire à cuisinier, bouleverser l’équilibre de ma vie personnelle, reprendre mes études… je me suis donné les moyens d’être heureuse ! Mais à partir du moment où j’ai su quelles étaient mes priorités, je n’avais pas d’autre choix » déclare-t-elle.

 « Il y a une vraie logique dans mon cheminement professionnel »

Si c’était à refaire ? « Je ne changerais rien à mon parcours. Chaque métier que j’ai exercé m’a appris des choses qui me servent aujourd’hui. La gestion, la compta, la publicité, le fonctionnement d’une petite entreprise, etc. Toutes ces expériences m’ont constituée telle que je suis, il y a une vraie logique dans mon cheminement professionnel » commente-t-elle.  Aujourd’hui, Cécile travaille à son restaurant de 7h à 17h environ, puis elle rentre et jusqu’au coucher des enfants, elle est sur le pont. Ensuite, selon les soirs, elle se consacre aux questions administratives pour sa société et celle de son mari, ou bien elle pratique le Pilates et le hip-hop : quelle énergie ! Le week-end, repos total, en famille, pour se ressourcer : Cécile semble avoir trouvé son rythme de croisière. Pour autant, cette agilité qui lui a permis de changer de vie est aujourd’hui profondément chevillée en elle. « Je suis très heureuse de mon restaurant, mais je n’exclus pas de faire encore évoluer les choses. Pourquoi pas, un jour, développer mon propre potager… » rêve-t-elle. Alors, quand un aspirant à la reconversion lui demande des conseils, elle n’hésite pas : il faut faire ce pour quoi on se sent fait, sinon on passe sa vie à avoir des remords. « Or la vie est courte ! Alors, pour que ça change, il faut se bouger car le changement ne viendra pas des autres, il viendra de soi. Et chaque chose que l’on entreprend est source d’autre chose. Alors, fonçons, car l’important après tout, c’est d’être heureux, non ? » conclut Cécile.

 

– Texte Corinne Martin-Rozès / Photos © Corinne Martin-Rozès –
– Texte et photos ne sont pas libres de droit –

 La Mangette © Corinne Martin-Rozès
Suivez Cécile Hatchuel sur la page Facebook de La Mangette
et sur le compte instagram du restaurant.

Sur mon autre blog, découvrez l’article que j’ai consacré au restaurant La Mangette.

 



Catégories :Reconversion

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4 réponses

  1. Bravo Cécile ! Quelle énergie ! Longue vie à La Mangette 🙂

  2. Très beau témoignage qui fait envie.

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